A black poem
C’était le jour des morts: Une froide bruine
Au bord du ciel rayé, comme une trame fine,
Tendait ses filets gris;
Un vent de nord sifflait; quelques feuilles rouillées
Quittaient en frissonnant les cimes dépouillées
Des ormes rabougris;
Et chacun s’en allait dans le grand cimetière,
Morne, s’agenouiller sur le coin de la pierre
Qui recouvre les siens,
Prier Dieu pour leur âme, et, par des fleurs nouvelles,
Remplacer en pleurant les pâles immortelles
Et les bouquets anciens.
L’aiguille a fait son tour. Votre tâche est finie,
Comme un pâle vieillard le siècle à l’agonie
Se lamente et se tord.
L’ange du jugement embouche la trompette
Et la voix va crier: Que justice soit faite,
Le genre humain est mort!
Je n’entendis plus rien. L’aube aux lèvres d’opale,
Tout endormie encor, sur le vitrage pâle
Jetait un froid rayon,
Et je vis s’envoler, comme on voit quelque orfraye,
Que sous l’arceau gothique une lueur effraye,
L’étrange vision!
Théophile Gautier (1811-1872)